05 octobre 2009

Mare nostrum, de Mauricio Kagel



Voici un an que l'auteur de la "Passion selon saint Bach" a rejoint le saint patron des musiciens. Cioran ne disait-il pas: "S'il y a quelqu'un qui doit tout à Bach, c'est bien Dieu"?
Né en Argentine un soir de Noël de parents russes récemment émigrés, il a mis sa fertile imagination au service du spectacle de la musique. La musique en tant que spectacle, le théâtre de la musique qui se fait. Et le théâtre où l'on chante.
"Mare Nostrum" appartient à cette dernière catégorie. Créé en 1975, ce théâtre musical est sous titré: "Découverte, pacification et conversion de la Méditerranée par une tribu amazonienne".
Comme pour toutes ses œuvres, Kagel, qui a étudié la littérature avec entr'autres Borges, ("Mare nostrum" est l'une de ses douze œuvres à avoir un titre latin), participé à la fondation de la cinémathèque de Buenos Aires, étudié plusieurs instruments, en a écrit le texte, la musique, assuré la mise en scène, et dirigé l'exécution.
"Mare nostrum", "notre mer", c'est ainsi que ces impérialistes de Romains appelaient leur mer intérieure, au fur et à mesure de leur conquête de ses rivages.
Kagel a toujours mis son immense humour à démonter les codes des spectacles musicaux de la tradition occidentale, l'opéra, surtout, mais aussi le rôle du chef d'orchestre, l'héritage des siècles, et même l'utilisation de la musique par les politiques (le Tribun, à venir!). Les années 70 étaient propices aux remises en cause et "Mare nostrum" s'intéresse à la colonisation de l'Amérique latine. En la retournant.


Lors de la création française, Maurice Fleuret, le critique du Nouvel Observateur, défenseur de la création musicale, écrivait ceci:

Maître désormais dans l’art du degré second, du détour, de la déviation et de la distance, il peut enfin aborder maintenant le théâtre de récit, sans craindre d’avoir à sacrifier la substance proprement musicale. « Mare Nostrum », créé il y a quelques semaines à Berlin et repris au musée Galliera par le festival d’Automne à Paris, raconte de manière strictement linéaire « la découverte, la pacification et la conversion de la Méditerranée par une tribu d’Amazonie ». Six instrumentistes entourent un grand bassin rempli d’eau qui reproduit les contours de la Méditerranée. A chaque extrémité, le baryton (John Bröcheler), bon sauvage, cruel et naïf, du nouveau continent, et la haute-contre (John Patrick Thomas), héritier plus ou moins dégénéré des traditions portugaises, espagnoles, françaises, italiennes, grecques, turques et levantines. Un dialogue presque continu, parlé ou chanté, dans la savoureuse traduction de Maryse Eloy, va accumuler citations, allusions, associations, permutations et contrepèteries en un délire verbal hautement contrôlé mais toujours naturel. De l’humour le plus subtil au gag le plus brutal, cette parodie d’épopée coloniale à l’envers est jalonnée d’intermèdes et de commentaires musicaux poétiques ou franchement désopilants comme, par exemple, cette manipulation délicieusement irrespectueuse de la « Marche turque » de Mozart, éblouissant exercice de style entre tous. Et tout s’achèvera par le strip-tease intégral de la haute-contre qui devient femme arabe voilée, jetée dans l’eau du bassin pour être poignardée par l’aveugle conquérant. Les religions, les cultures, les gouvernements et même les formes les plus discrètes d'impérialisme et de répression sont égratignés ici avec un merveilleux raffinement de cruauté. Mais aucune idéologie précise n’émerge du massacre. Et l’on sort de ce spectacle, à la fois sophistiqué et populaire, comme d’un atroce cauchemar de découragement. Le désespoir de Kafka habite le rire grinçant de Kagel.

La version ici est celle du Festival d'Avignon, 1976, avec les mêmes interprètes, noter le jeu de mots vers la fin sur "se kaglamenter", le nom de Kagel étant proche du verbe Klagen, se lamenter, en allemand (celui de "Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen", la cantate BWV 12 de Bach).
La retransmission radiophonique était commentée en direct, je n'ai pas pu faire grand chose.

Mare nostrum, en flac

Mare nostrum en mp3

7 commentaires:

  1. Téléchargement fait. Il me reste à écouter, ce week-end sans doute ou avant. En tous cas les personnages semblent "mouvants" comme les vagues. Merci beaucoup

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  2. Que interesante este blog que descubro gracias a mis visitas a otro blog amigo , ´pasaré por aquí a continuar descubriendo más de Kagel.
    Saludos !

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  3. Gracias!
    Próximamente, le Tribun (en français). Y mas!
    (tengo kilos de música de Kagel). Hasta pronto!

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  4. Merci beaucoup pour ces informations très intéressantes sur un compositeur (et une oeuvre) fascinant ! Avez-vous plus d'informations sur l'enregistrement ou l'émission de radio ? Où avez-vous trouvé cet enregistrement ? Merci !

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    1. Autant que je me souvienne, cela faisait partie d'un week end de France Culture consacré à Kagel, diffusé en 1983. En stéréo pour Paris! Catherine Clément commentait par dessus l'enregistrement.....

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    2. Merci beaucoup !

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