
Il y a un grand homme qui vit dans ce pays - un compositeur.
Il a résolu le problème de savoir comment se préserver soi-même et apprendre.
Il répond à la négligence par le mépris.
Il n'est pas obligé d'accepter la louange ou le blâme.
Il s'appelle Ives.
Schönberg a écrit ce petit poème, et l'a gardé dans un tiroir.
Ah! Non! C'est un peu court, Arnold!
On peut dire sur Charlie bien d'autres choses encor.
Il y a dans le Connecticut, dans le Connecticut,
Un homme qui a écrit avant moi des séries de douze sons,
De la musique polytonale et polyrythmique avant Stravinsky et consorts,
Qui a inventé des accords qui ne sont pas dans mon Traité d'Harmonie, des clusters!,
Qu'on fait avec l'avant bras posé sur un clavier, ou même à l'orchestre!,
Qui a fait des collages sans intention de parodie,
Qui est même sorti du système bien tempéré en écrivant pour quart de ton,
Qui n'a pas harmonisé savamment des chants populaires mais les a intégrés dans une musique savante.
Un musicien chez qui musique vivante ne veut pas dire jouée par de vrais instrumentistes et non par un diamant dans un sillon de laque ou de vinyle, mais un organisme qui naît, se développe, crie, grouille, part dans tous les sens, s'affirme, puis ralentit et s'éteint.

La vie selon Charlie, immédiatement reconnaissable.
Pas besoin d'être né aux États Unis au XIXème siècle, pas besoin d'avoir chanté avec le chœur de garçons dans l'église de Danbury, Connecticut, les hymnes qui prolifèrent dans ses œuvres.
Pas besoin d'avoir repris les airs patriotiques et les airs à la mode que l'on jouait au kiosque de Danbury, Connecticut, sous la baguette de son père, George.
Pas besoin d'avoir dansé sur des ragtimes pour les entendre au milieu du brouhaha de la rue au delà de Central Park, la nuit.
Pas besoin, non, la vie de l'Amérique du début du dernier siècle dans la stylisation de Charles Edward Ives se reconnaît comme vie tout court.
La première sonate
pour piano

Sur le manuscrit Ives a écrit :
« De quoi s'agit-il?
Essentiellement de la vie en plein air des fermiers du Connecticut des années (18)80-90.
Impressions, souvenirs, réflexions des paysans de la campagne du Connecticut.
Le père de Fred était très excité et a hurlé quand son fils a frappé un joli coup et l’école a gagné le match de baseball.
Mais tante Sarah fredonnait toujours la chanson « Où est mon fils le voyageur ? » après que Fred et John aient quitté la maison pour travailler à Bridgeport.
Il y avait habituellement de la tristesse
mais pas aux bals de campagne, avec leurs gigues, sauts et danses irlandaises, surtout les nuits d’hiver.
L’été, les hymnes étaient chantés à l’extérieur.
Les gens chantaient (comme Ole Black Joe) – et le Bethel Band (pas redoublés, marches)
Et les gens aimaient dire les choses comme ils avaient envie, et faire les choses comme ils le voulaient, à leur manière à eux.
Et les vieux, il y avait des sentiments et de la ferveur spirituelle! »
Ives résume ensuite les ambiances : « La famille ensemble dans le premier et le dernier mouvement, dans les ragtimes: le garçon au loin semant l’avoine, et l’anxiété des parents dans le mouvement central ».
De la musique à programme, donc... si on veut. La photographie en haut de ce billet (Barcelone 2008, Muriel Pérez) exprime cette animation joyeuse que j'entends dans cette sonate malgré le sombre résumé fourni par l'auteur.
La sonate, en 5 mouvements, a été créée à New York le 17 février 1949 par William Masselos. Quarante ans après sa complétion. Normal pour Ives. Qui n'a jamais su l'admiration que lui portait son collègue, même si le Viennois admire ici son attitude.
Ives avait en effet un avantage sur Schönberg, qui ne savait rien faire d'autre que de la musique. Il avait fondé une compagnie d'assurance prospère. "Père pensait qu'un homme pouvait garder son intérêt pour la musique plus fort, plus propre, plus grand et plus libre, s'il n'essayait pas d'en vivre. S'il a une femme et des enfants qu'il aime, comment peut-il laisser ses enfants mourir de faim sur ses dissonances? Répondez si vous pouvez!".
Un critique notait à la création: « Il y a là de la musique pour 6 sonates! ». Un autre y voyait l'influence de Dada...
La sonate, divisée par ma faute en quatre morceaux au lieu de cinq, interprétée par Noël Lee, pianiste américain vivant en France, se trouve ici, dans un enregistrement des années 70:
Charles Ives Première sonate Noel Lee (mp3)
Charles Ives Première sonate Noel Lee (flac) Premier mouvement
Charles Ives Première sonate Noel Lee (flac) Deuxième mouvement
Charles Ives Première sonate Noel Lee (flac) Troisième mouvement
Charles Ives Première sonate Noel Lee (flac) Quatrième mouvement