Ligeti, fuyant la Hongrie soviétisée en 1956, lui, seul survivant de sa famille partie par la cheminée à Auschwitz, découvrit la musique sérielle et ce que les jeunes compositeurs de son âge étaient en train d'en faire. Curieux, il analysa les œuvres de ses collègues et se mit à faire tout autre chose.
Il est tentant de décrire la musique avec les outils de la peinture, de parler de couleurs, de texture, d'architecture. Une métaphore pour décrire les Ramifications, de 1969, serait le tissage. Ligeti parle des "voix qui se mêlent pour faire un brin de fil". Il tisse devant nous avec toutes les cordes des 12 instruments, 7 violons, 2 altos, 2 violoncelles, une contrebasse.
Comme dans "Continuum", ce long trille de clavecin que sa vibration rapide fait paraître immobile, l'illusion du mouvement est obtenu par des battements rapides de notes, auxquels se rajoutent des décalages de vitesses: chaque type d'instruments jouant des notes de durée différentes : 8 notes par mesure pour les violons contre 7 notes pour les altos, 6 pour les violoncelles, etc.
Ligeti ajoute un effet moiré à la trame en divisant les cordes en 2 groupes, accordés à un quart de ton de distance.
De temps en temps, un sforzando nous projette dans le métier à tisser, comme par un coup de zoom brutal.
Ce tissage s'arrête tranquillement, sans conclusion, sans éclat, sans effilochage.
Il existe deux versions, pour 12 cordes solistes et pour orchestre de chambre de cordes. C'est celle-ci que son ami Maderna dirigea au festival de Hollande l'été 1973, avec les cordes du Concertgebouw, peu avant sa propre mort. Un concert était consacré au compositeur hongrois pour ses 50 ans. La radio hollandaise n'a pas publié "Atmosphères" joué aussi ce soir-là.
Martine Cadieu, présente au concert raconte: "Lorsque les lumières s'allument, à l'entracte, le public debout applaudit, bras levés. Près de moi, Ligeti a les yeux pleins de larmes."
Ramifications en flac
Ramifications en mp3