03 juillet 2013

Ludwig van, de Mauricio Kagel


Mil neuf cent soixante dix. Le deux centième anniversaire de Beethoven. Cela a dû être si intense, en Allemagne du moins, que Mauricio Kagel, qui résidait à Cologne, émit l'idée de « ne plus jouer Beethoven pendant un certain temps afin de permettre aux nerfs auditifs qui réagissent à sa musique de récupérer ».
Et, plus radical que les baroqueux qui, en 1970, n'avaient pas encore abordé la musique de Beethoven, mais recherchaient généralement le son que les auditeurs de l'époque auraient pu entendre, il entreprit de nous faire écouter sa musique comme Beethoven lui-même l'entendait, "mal"!
Pour cela, avec des amis plasticiens (Joseph Beuys, Diter Rot, Ursula Burkhardt, Robert Filliou), il édifia une installation représentant la maison natale de Beethoven, à Bonn. Kagel décora le salon de musique en recouvrant toutes les surfaces de partitions du Maître.



Le film qu'il tourna en 1969 nous fait visiter cette maison par Beethoven lui-même, nous la fait voir par ses yeux et entendre par ses oreilles dures.
Entre du son de 78 tours et des réorchestrations, un seul principe à l’œuvre, n'entendre que du Beethoven, mais différemment. Exemples, le thème des variations Diabelli, rendu à sa banalité par une orchestration "musette", ou la sonate Waldstein qui patine au démarrage, les accords répétés initiaux étant répétés plus que de raison.

Dans le film, quand Beethoven visite son salon de musique, la bande son est réalisée par 16 musiciens jouant à vue les portées que la caméra nous montre. La partition que Kagel a tirée de ce film, à jouer sur scène, par un nombre ad libitum d'interprètes, reprend le même principe, elle est constituée de photographies de parties de la chambre aux partitions. Les musiciens doivent jouer ce qu'ils arrivent à lire, que ce soit pour leur instrument ou non, bien évidemment. Toutes les notes sont de Beethoven et c'est indéniablement du Kagel. Regardez le film, il est très très drôle, Winter & Winter l'a réédité en DVD, et il se trouve "aussi" sur youtube.

D'une famille allemande émigrée en Argentine, Kagel est un surréaliste latin et un sériel germanique. Surréaliste latin, il manie l'humour et l'absurde unis pour décaper le Beethoven de 1970. À la Buñuel, qui rappelait qu'il y avait trois aragonais sourds et célèbres, Goya, Beethoven et lui-même.
Et sériel germanique, il organise les produits de son imagination, tourne, retourne, détourne les situations comme une série de douze sons, dans un seul but, Ad Majorem Raparumcampi Gloriam. C'est pour cela qu'il a sous-titré son œuvre, "hommage de Beethoven". (à la musique de notre temps).

Pour le disque chez Deutsche Grammophon, Kagel a gardé le principe de "rien que du Beethoven", mais sans la part d'improvisation inhérente à la partition publiée. Au rebours, il a soigneusement composé le disque comme un gigantesque collage. Uniquement à partir de la musique de chambre, sonates pour piano, quatuors, lieder, utilisant les ressources du studio, montage de bandes, enregistrement de répétitions de quatuor etc. En précisant toutefois que les deux faces du disque étaient musicalement interchangeables. J'ai conservé l'ordre traditionnel, face 1 puis 2.

L'époque était au collage, Luciano Berio écrit le troisième mouvement de la Sinfonia en 1968, plantant quelques siècles de musique au long du calme fleuve que déroule le scherzo de la deuxième symphonie de Mahler, Bernd Alois Zimmermann coud ces mêmes siècles les uns aux autres, en 1966, sans rajouter une note dans la "Musique pour les soupers du roi Ubu".

Kagel, lui, ne va pas citer Beethoven, ni écrire à la manière de, mais sans non plus rajouter une seule note de son cru, offrir à l'altiste Gérard Ruymen une sonate pour alto et piano "composée de la voix d'alto du quatrième mouvement du quatuor à cordes op. 131 et du largo de la Hammerklavier, tous deux en la majeur". Ainsi que de la musique pour trio à cordes à partir de parties de sonates pour violon et piano et pour violoncelle et piano.
Toujours cette idée de nous surprendre par la modernité radicale de Beethoven, en nous décrassant les oreilles.
Ces oreilles que DGG, de l'autre main, nous encrassait avec Karajan, bête noire de Kagel....

Les interprètes sont des maîtres de la musique contemporaine, Siegfried Palm au violoncelle, Gérard Rymen à l'alto, Saschko Gawriloff et Egbert Ojstersek, aux violons, Bruno Canino et Frédéric Rzewski aux pianos, William Pearson, baryton et Carlos Feller, basse.

Dans le blog annexe, on trouvera l'intervioue de Kagel par le producteur, un certain Faust (Karl), dont la traduction fournie par la DGG a été bien améliorée par Mme Viel, merci Sigrid! Ainsi qu'un extrait d'une intervioue par Felix Schmidt, et les instructions pour jouer la partition.

Pour les lecteurs désireux d'approfondir le sujet, une thèse de musicologie, en anglais, ici

Ludwig van, en flac

Ludwig van, en mp3