28 août 2009
Fernand Raynaud: "Les œufs pas cassés" & "Deux croissants"
En vingt ans de carrière, cet humoriste mort à 46 ans a réussi à faire passer dans le langage courant un legs d'expressions dont il est sans doute déjà oublié qu'il en est l'auteur.
L'après-guerre a été riche en humoristes, les salles de spectacles et les cabarets leur offrant suffisamment d'occasions de se produire en scène.
Fernand Raynaud, c'est un comique traditionnel, comique troupier, lui qui avait 13 ans en 39, au début de sa carrière, puis comique d'observation dans ses sketches sur la vie de famille ou à l'usine, souvent des dialogues, avec une chute. Peu de problèmes sociaux, un reflet indirect des Trente Glorieuses, quand le chômage n'existait pas et que le Parti communiste existait.
Un monde disparu. Qui ferait rire de nos jours avec ces sketches?
Pourtant....
Les œufs pas cassés.... Je me demande si les crémiers vendaient vraiment des œufs cassés.
"Les œufs pas cassés" & "Deux croissants" en flac
"Les œufs pas cassés" & "Deux croissants" en mp3
08 août 2009
Le Capriccio de Stravinsky par Carlos Roque Alsina et Ernest Bour
Avec une femme, quatre enfants, et une maîtresse à nourrir, sans compter des goûts de luxe, Igor Stravinsky était toujours à court d'argent. Installé sur la Côte d'Azur dans les années vingt, il avait donc entrepris d'ajouter aux revenus du compositeur, d'abord ceux du chef d'orchestre, puis ceux du pianiste.
Sans aller toutefois jusqu'à imiter la pratique du XVIIIème siècle, quand Mozart dirigeait ses concertos du piano.
Il commença par transcrire pour piano mécanique (le Pleyela de la maison Pleyel) les ballets qui avaient fait sa gloire.
Bon pianiste lui-même, il en enregistra certains sur les rouleaux perforés, soucieux d'utiliser toujours la technologie de pointe pour laisser une référence d'interprétation de son œuvre. Cependant, ces rouleaux ne sont pas ceux des pianos mécaniques de western, qui jouent tous seuls à la première bagarre de saloon, ils nécessitent l'intervention humaine, pour le rubato, les nuances, la dynamique.
Dès que l'enregistrement électrique remplaça l'enregistrement acoustique (celui où tous les musiciens jouent devant un grand cornet), Stravinsky signa un contrat avec "la grande Compagnie du Gramophone Columbia, pour enregistrer exclusivement mon œuvre, tant comme pianiste que comme chef, année après année. Ce travail m'intéressa beaucoup, car, beaucoup mieux qu'avec les rouleaux perforés, j'étais à même d'exprimer toutes mes intentions avec une réelle exactitude. En conséquence, ces disques, techniquement excellents, ont l'importance de documents qui peuvent servir de guides à tous les exécutants de ma musique. Malheureusement, très peu de chefs en profitent."
Curieusement, il a continué à tenir ce discours au fil de ses ré-enregistrements des mêmes œuvres, au fur et à mesure de l'évolution de la technique, jusqu'à son intégrale en stéréo des années 60, un demi-siècle après la création de ses grands ballets d'avant 14.
Le chef d'orchestre Koussevitzky lui ayant suggéré de créer lui-même son concerto pour piano et instruments à vents de 1925, Stravinsky se remit donc au piano, pratiquant avec délices les études de Czerny. Jouer avec un orchestre n'est en effet pas la même chose qu'enregistrer en studio des bandes de piano mécanique...
Malgré le trac, il semble avoir pris du plaisir à tourner en Europe et aux Etats-Unis, avec les chefs les plus célèbres pour l'accompagner.
"J'ai travaillé à mon Capriccio tout l'été (1929, à Echarvines, en Savoie) et l'ai terminé à la fin Septembre. Je l'ai joué pour la première fois le 6 Décembre à un concert de l'Orchestre Symphonique de Paris, sous la direction d'Ansermet. On m'avait si souvent demandé toutes ces dernières années de jouer mon concerto pour piano et instruments à vents (ce que j'avais fait une bonne quarantaine de fois), que je pensais qu'il était temps de donner au public une autre œuvre pour piano et orchestre. (Trop aimable, Maitre!)
C'est pourquoi j'écrivis un autre concerto, que j'ai appelé Capriccio, car il me semblait que ce nom convenait le mieux au caractère de la musique. J'avais à l'esprit la définition de Praetorius, qui en faisait un synonyme de fantaisie, c'est-à-dire une forme libre faite de passages instrumentaux fugués. Cette forme me permettait de développer ma musique par juxtaposition d'épisodes variés se faisant suite et de par leur propre nature donnant à la pièce cet aspect de caprice qui lui donne son nom".
Le retour au classicisme amorcé depuis quelques années déjà, ce concerto se place sous le double parrainage de Carl Maria von Weber et de Jean Sébastien Bach. Le romantisme et le baroque allemands. Rien de classique au sens de style musical.
Weber, que Stravinsky avait connu d'abord par le Freischutz, (dirigé à Prague par Alexander von Zemlinsky, le beau-frère de Schönberg) et qu'il admirait fort, connaissant toute son œuvre pianistique, et dont il disait que les sonates l'avaient envoûté pendant l'écriture du Capriccio, allant jusqu'à lui fournir, outre le titre, une formule rythmique particulière. Bach, pour l'atmosphère que donnent les bois surtout dans le second mouvement, et les canons un peu partout. Le staccato bien détaché de certains passages, sans pédale, pourrait aussi bien être joué au clavecin.
Stravinsky enregistra avec Ansermet et l'orchestre Straram le Capriccio dès l'année suivante.
Ici, c'est une version de concert, le 12 novembre 1975, Ernest Bour dirige l'Orchestre Philharmonique de Radio France et accompagne Carlos Roque Alsina.
I. Presto
II. Andante Rapsodico
III. Allegro Capriccioso
Le Capriccio en mp3
L'illustration est une gouache exécutée spécialement pour ce billet par un artiste de 20 ans, François Brasdefer.
Elle s'intitule "Ils disent que le diable est dans les détails".
07 août 2009
Le Motet "In Ecclesiis" et la Canzone primi toni de Giovanni Gabrieli dirigés par Maderna
Les Gabrieli, l'oncle et le neveu, Monteverdi, Vivaldi, Malipiero, Maderna, Nono, une lignée de compositeurs vénitiens, avec certes un creux au XIXème siècle.
Maderna n'était pas un de ces adeptes de la table rase qui sévissaient en Allemagne ou en France dans l'immédiat après-guerre. Il avait gagné sa vie d'étudiant en préparant des éditions modernes de Vivaldi et, à la tête d'un groupe d'étudiants que lui avait confiés Malipiero, « fouillait à la Biblioteca Marciana, dans les manuscrits musicaux originaux, dans les Traités de composition, dans les premiers imprimés de musique (réalisés par Ottaviano Petrucci à Venise dès 1501) pour pouvoir étudier historiquement et sur les documents originaux l'évolution de la musique européenne. Nous en apportions à Malipiero les fruits concrets (transcriptions en notation moderne, instrumentations comme celle de l'Odhecaton A, études composées par nous-mêmes dans les différents styles). » (L. Nono). Cet Odhecaton A sera d'ailleurs sur une face du premier disque enregistré par Maderna.
Luigi Nono continue: « Nous vivions alors dans une véritable ambiance de "boutique" artisanale de musique, où l'intelligence pénétrante de G.F. Malipiero, son expérience érudite et son humeur pleine d'entrain s'unissaient au talent que possédait Bruno pour découvrir la musique comme un objet toujours nouveau et pour nous la faire étudier comme un objet toujours vivant. »
Nono appelait les Gabrieli des « hommes-musiciens » et leur reconnaissait une influence décisive sur son œuvre tout comme la rencontre de Scherchen ou de Maderna.
En 1970, il écrivait à Malipiero qui venait de lui envoyer une nouvelle édition des œuvres de Giovanni Gabrieli, qu'il en "avait retiré non seulement un véritable enthousiasme, mais aussi de nouveaux enseignements, matériaux sonores, nouvelles lois de composition en enveloppes harmoniques, et non plus linéaires en contrepoint, expression et invention spatiale du son, usage acoustique et musical du texte..."
Les Gabrieli, ces deux musiciens du XVIème siècle, élèves de Roland de Lassus, organistes à Saint Marc de Venise, écrivaient une musique adaptée au lieu: les instruments ou les chœurs placés dans les loges opposées de chaque côté de la croisée du transept se répondent, en écho ou en dialogue. Berlioz reprendra cette idée de la division spatiale des groupes instrumentaux dans le Tuba mirum de son Requiem, à Saint Louis des Invalides.
Maderna s'est tellement inscrit dans la lignée de la musique occidentale qu'il ouvre sa Composizione n° 2 de 1950 avec l'épitaphe de Seikilos, un morceau de musique grecque du IIème siècle de notre ère. Il connaissait d'ailleurs si bien la musique du passé qu'André Boucourecheliev raconte qu'il improvisait du contrepoint franco-flamand au tableau noir durant les cours d'été de Darmstadt.
Le travail d'orchestration l'a accompagné toute sa vie, si celle d'« In Ecclesiis » (de 1615) date de 1966, et a été publiée, il semble qu'il ait orchestré mais non publié plusieurs autres œuvres de Gabrieli.
Le motet « In Ecclesiis » pour deux chœurs, avec solistes, orgue et deux groupes d'instruments à vents se trouve ainsi jouable par un grand orchestre symphonique, type XIXème siècle, et la version qu'en donne Maderna, solennelle et jubilatoire, est bien dans cette tradition. Une orchestration comme celles que Schönberg faisait des chorals de Bach, à l'opposé de l'orchestration "webernienne" du Ricercare de l'Offrande musicale par Anton Webern. Il est intéressant de voir comment un chef plus jeune, Antonio Pappano, avec les acquis du mouvement baroqueux (qui ne s'est pleinement développé qu'après la mort de Maderna), fait sonner une autre Canzone a tre cori), dans l'orchestration madernienne (1972), d'une manière bien différente, plus proche de nos nouvelles habitudes auditives.
Ici, ces deux œuvres de Giovanni Gabrieli, "in Ecclesiis" et la "Canzone primi toni", sont dirigées par Maderna en 1971 (il ne s'agit pas de la version publiée par Arkadia).
Canzone primi toni en flac
"In Ecclesiis" en flac
"In Ecclesiis" en mp3
Canzone primi toni en mp3
Maderna n'était pas un de ces adeptes de la table rase qui sévissaient en Allemagne ou en France dans l'immédiat après-guerre. Il avait gagné sa vie d'étudiant en préparant des éditions modernes de Vivaldi et, à la tête d'un groupe d'étudiants que lui avait confiés Malipiero, « fouillait à la Biblioteca Marciana, dans les manuscrits musicaux originaux, dans les Traités de composition, dans les premiers imprimés de musique (réalisés par Ottaviano Petrucci à Venise dès 1501) pour pouvoir étudier historiquement et sur les documents originaux l'évolution de la musique européenne. Nous en apportions à Malipiero les fruits concrets (transcriptions en notation moderne, instrumentations comme celle de l'Odhecaton A, études composées par nous-mêmes dans les différents styles). » (L. Nono). Cet Odhecaton A sera d'ailleurs sur une face du premier disque enregistré par Maderna.
Luigi Nono continue: « Nous vivions alors dans une véritable ambiance de "boutique" artisanale de musique, où l'intelligence pénétrante de G.F. Malipiero, son expérience érudite et son humeur pleine d'entrain s'unissaient au talent que possédait Bruno pour découvrir la musique comme un objet toujours nouveau et pour nous la faire étudier comme un objet toujours vivant. »
Nono appelait les Gabrieli des « hommes-musiciens » et leur reconnaissait une influence décisive sur son œuvre tout comme la rencontre de Scherchen ou de Maderna.
En 1970, il écrivait à Malipiero qui venait de lui envoyer une nouvelle édition des œuvres de Giovanni Gabrieli, qu'il en "avait retiré non seulement un véritable enthousiasme, mais aussi de nouveaux enseignements, matériaux sonores, nouvelles lois de composition en enveloppes harmoniques, et non plus linéaires en contrepoint, expression et invention spatiale du son, usage acoustique et musical du texte..."
Les Gabrieli, ces deux musiciens du XVIème siècle, élèves de Roland de Lassus, organistes à Saint Marc de Venise, écrivaient une musique adaptée au lieu: les instruments ou les chœurs placés dans les loges opposées de chaque côté de la croisée du transept se répondent, en écho ou en dialogue. Berlioz reprendra cette idée de la division spatiale des groupes instrumentaux dans le Tuba mirum de son Requiem, à Saint Louis des Invalides.
Maderna s'est tellement inscrit dans la lignée de la musique occidentale qu'il ouvre sa Composizione n° 2 de 1950 avec l'épitaphe de Seikilos, un morceau de musique grecque du IIème siècle de notre ère. Il connaissait d'ailleurs si bien la musique du passé qu'André Boucourecheliev raconte qu'il improvisait du contrepoint franco-flamand au tableau noir durant les cours d'été de Darmstadt.
Le travail d'orchestration l'a accompagné toute sa vie, si celle d'« In Ecclesiis » (de 1615) date de 1966, et a été publiée, il semble qu'il ait orchestré mais non publié plusieurs autres œuvres de Gabrieli.
Le motet « In Ecclesiis » pour deux chœurs, avec solistes, orgue et deux groupes d'instruments à vents se trouve ainsi jouable par un grand orchestre symphonique, type XIXème siècle, et la version qu'en donne Maderna, solennelle et jubilatoire, est bien dans cette tradition. Une orchestration comme celles que Schönberg faisait des chorals de Bach, à l'opposé de l'orchestration "webernienne" du Ricercare de l'Offrande musicale par Anton Webern. Il est intéressant de voir comment un chef plus jeune, Antonio Pappano, avec les acquis du mouvement baroqueux (qui ne s'est pleinement développé qu'après la mort de Maderna), fait sonner une autre Canzone a tre cori), dans l'orchestration madernienne (1972), d'une manière bien différente, plus proche de nos nouvelles habitudes auditives.
Ici, ces deux œuvres de Giovanni Gabrieli, "in Ecclesiis" et la "Canzone primi toni", sont dirigées par Maderna en 1971 (il ne s'agit pas de la version publiée par Arkadia).
Canzone primi toni en flac
"In Ecclesiis" en flac
"In Ecclesiis" en mp3
Canzone primi toni en mp3
02 août 2009
Ma conscience et moi
Mon attention a été attirée sur les violations des lois divines et humaines que je commettrais en diffusant des œuvres hors du domaine public.
J'ai consulté plusieurs oracles, tous d'accord, ou presque, avec cette proposition.
J'ai donc sorti ma conscience de la valise où je la garde, suivant l'exemple du Père Ubu, et l'ai interrogée.
Elle m'a expliqué que je ne lésais personne, au contraire. N'offrant aux foules (modestes, à peine plus de 90 chargements de la musique du film Muriel) que des musiques introuvables ailleurs, sous cette forme en tous cas, je ne porte ombrage ni aux auteurs, ni aux éditeurs. Quand un ayant-droit s'avisera de publier "officiellement" les quatuors de Beethoven par le quatuor Pascal ou la sérénade de Maderna par son créateur, je me ferai une joie de remplacer le lien vers l'hyperespace où repose mon fichier par une incitation à les acheter dans les lieux prévus à cet effet.
Après s'être raclé la gorge, elle a ajouté que l'on pourrait même prétendre que mon action rendait service aux dits ayant-droits.
En ressortant de la naphtaline Max Meili ou bientôt Ettel Sussman, ou le trio Pasquier, l'intérêt éveillé pour ces grands artistes va conduire le public de mon blog à chercher les autres enregistrements de ces mêmes artistes et à se ruer pour les acheter, enfin, s'ils existent...
Outré de cette réponse, je fis rentrer à nouveau ma conscience dans sa valise.
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