19 mai 2009

"Serenata n. 2 per undici strumenti" de Bruno Maderna



Sérialisme à l'italienne.

L'œuvre de Maderna est parsemée de sérénades, pas moins de huit. La première, sa première œuvre "officielle", jouée?, est perdue, elle date de 1946, il avait 26 ans. La dernière sérénade date de deux ans avant sa mort.
Celle-ci est la seconde, de 1954, révisée en 1957, et enregistrée par Maderna lui-même en 1960. Il devait y tenir particulièrement, c'est son premier disque de musique contemporaine (il a déjà enregistré de la musique ancienne), sa première œuvre enregistrée, et une sorte de portrait des jeunes musiciens italiens, où il figure en compagnie de ses amis, Nono et Berio. Berio la même année, 1957, écrit une sérénade pour 14 instruments, qu'enregistrera Maderna en 1964. Et la seule œuvre de Schönberg qu'il enregistrera est la Sérénade op 24!
Elle est pour onze instrumentistes et treize instruments: le pianiste joue aussi du glockenspiel, et le percussionniste du vibraphone et du xylophone. Les autres instruments sont la flûte, la clarinette, la clarinette basse, le cor, la trompette, la harpe, le violon, l'alto et la contrebasse.
Aucune de ses sérénades n'inclut de voix humaine. Nous ne sommes pas ici chez les belles écouteuses. Plutôt dans la musique nocturne.
Maderna au cœur de sa période sérielle.
Mais à l'italienne: la première partie utilise une série de onze notes, et la seconde partie, quelques séries de neuf notes, au lieu des douze prescrites! Il y a dans l'écriture une grande rigueur, Maderna utilisant des carrés latins, tableaux de chiffres où chaque colonne et chaque ligne a le même total, et où chaque chiffre ne figure qu'une fois par ligne ou colonne. Ces carrés, appliqués aux hauteurs de notes, au rythme, à l'orchestration, assurent la cohérence de la construction.
Et tout cela sonne merveilleusement lyrique, car si ces méthodes ne servent jamais qu'à monter le bâti de l'œuvre, le plus important, le choix des notes, les intervalles, la couleur des instruments, tout ceci reste entre les mains du créateur.
"Vous verrez pour lors, que je ne suis pas novice dans l'art et qu'il ne paraît pas surtout que je fasse de grandes dépenses de ma science dans mes productions, où je tâche de cacher l'art par l'art même ; car je n'ai en vue que les gens de goût, et nullement les savants, puisqu'il y en a beaucoup de ceux-là et presque point de ceux-ci."
Ces mots de Rameau s'appliquent parfaitement ici, écoutez la mélodie de flûte qui commence la sérénade, qui entend là de sèches mathématiques?
“J’ai mon propre système grammatical, qui relève du principe sériel, et qui est suffisamment souple, surtout suffisamment abstrait pour me laisser toute liberté d’y incarner de mille manières mon imagination musicale, qui n’est nullement abstraite”, Maderna ne disait pas autre chose.
L'orchestration procède de Webern plus que de Schönberg ou Berg, les mélodies, ou les suites de notes, car il n'y a pas ici de mélodie à siffloter dans la salle de bains, étant réparties entre les instruments, avec leurs couleurs variées. Pas de grands sauts d'intervalles, si associés avec la musique contemporaine de cette époque, pas d'agressivité, une sérénade....
Le disque est paru en mono et en stéréo dans la collection dirigée par Earle Brown, celle-ci est la version stéréo. Maderna dirige l'English Chamber Orchestra.


Serenata N.2 de Bruno Maderna en flac, identique à l'original

Serenata N.2 de Bruno Maderna en mp3 de la meilleure qualité



Ringraziamenti a Luisa Curinga e Nicola Verzina.

07 mai 2009

Quatre chansons espagnoles de la Renaissance par Max Meili


Premier dans la série " Sortons de la naphtaline les chanteurs et les chanteuses oubliées"

Le ténor Max Meili.

Un des premiers à s'être spécialisé dans la musique ancienne, du Moyen Age à Bach, Schütz, et Monteverdi.
Né en 1899, il participe à la création de la Schola Cantorum de Bâle, avec Paul Sacher, en 1933. Un des premiers donc à avoir étudié l'histoire de la pratique musicale et à avoir cherché à retrouver les sons anciens.
Wikipedia nous apprend aussi qu'il a chanté Addio terra, addio cielo, de l'Orfeo de Monteverdi, à l'enterrement de James Joyce, à Zurich. Rôle qu'il a enregistré en 1949, son seul disque réédité à ce jour.

Les deux faces de 78 tours, enregistrées au début des années quarante, contiennent quatre chansons de la Renaissance espagnole, d'Alonso Mudarra et d'Enriquez de Valderrábano.
Elles sont extraites de deux recueils de chansons accompagnées de la vihuela, une guitare à six paires de cordes, publiés en 1546 et 1547.

De Mudarra: Triste estaba el Rey David et De la sangre de tus nobles
D'Enriquez de Valderrabano: Señora, si te olvidare et Al monte sale el amor..


Voici les paroles de la première chanson:



Triste estaba el rey David
Triste y con gran pasión,
Cuando le vinieron nuevas
 
De la muerte de Absalón.

Cuando le vinieron nuevas
De la muerte de Absalón
Palabras tristes decía
Salidas del corazón.


Triste était le roi David
Triste et tourmenté
Quand lui parvinrent les nouvelles
De la mort d'Absalon

Quand lui parvinrent les nouvelles
De la mort d'Absalon
Ils disait de tristes paroles
Qui sortaient de son cœur

La chanson "De la sangre de tus nobles" est incomplète. Son début, et son titre, est "Israel, mira tus montes". En voici les paroles :


Israel, mira tus montes
Como estan ensangrentados
De la sangre de tus nobles,
De tus nobles y esforçados!
Ay dolor! Como cayeron
Varones tan estimados!


Israël, regarde tes montagnes
Elles sont couvertes du sang
Du sang de tes nobles
De tes nobles et de tes soldats!
Oh, quelle douleur que la chute
Des hommes d'une telle valeur!

Enfin les paroles de la chanson "A monte sale el Amor"

A monte sale el Amor
De la isla muy nombrada
Donde Venus es honrada
Y él tenido por señor.


Amour s'en va par la montagne
De l'île très fameuse
Où Vénus est honorée
Et lui tenu pour seigneur

(Merci, Diego!)



Les quatre chansons en un fichier mp3:


Quatre chansons espagnoles

27 avril 2009

L'adagio et rondo K 617 pour armonica de verre, flûte, hautbois, alto et violoncelle





Le 23 mai 1791, Mozart entra dans son catalogue un "Adagio und rondeau fur Harmonica e flauto, i oboe, i viola, e violoncello", mêlant l'allemand le français et l'italien, en sabir musical européen.



Cette pièce écrite pour une virtuose aveugle de 22 ans, Marianne Kirchgessner, a une sœur jumelle, un adagio pour armonica de verre solo, qu'on n'entend jamais.
À six mois de là, il était mort, après avoir entré dans le catalogue la Clémence de Titus, la Flûte enchantée, le concerto pour clarinette, l'Ave verum, deux cantates maçonniques, et un demi-Requiem.
Armonica de verre. Harmonica en allemand. Au lieu de passer le doigt mouillé sur le rebord des dizaines de coupes à champagne plus ou moins pleines, Benjamin Franklin, oui, le père fondateur des États-Unis et du paratonnerre, a imaginé d'enfiler les coupes sur une broche qu'on fait tourner avec un pédalier de machine à coudre, ce qui permet de jouer assis...
Mozart aimait jouer de l'alto, qui figure dans ce quatuor mi-cordes mi-vents. A-t-il créé l'œuvre le 10 juin? Les sources divergent et je n'y étais pas...
De la magnifique musique de chambre, pas une bluette, digne des derniers chefs d'œuvre.
Les armonicas de verre ne sont pas monnaie courante dans les orchestres, on joue donc la pièce au piano, à la harpe, etc.

Dans cette version de concert, années 70, le pianiste Carlos Roque Alsina joue du célesta, un instrument à clavier, sans cordes, mais à lames de métal. Il est accompagné de solistes de l'ensemble "Musique vivante".
Cet ensemble, créé en 1966 par Diego Masson, percussionniste, et fils du peintre surréaliste André Masson, est spécialisé dans la musique contemporaine.
Je me répète, ce sont ceux-là qui jouent le mieux la musique des siècles passés.

Le voici, en mono hélas, mon magnétophone de l'époque l'était aussi: Adagio et rondo K 617 en fichier flac

Adagio et rondo K 617 en mp3

16 avril 2009

La musique de HW Henze pour le film de Resnais "Muriel"

pour MMM

Hans Werner Henze, compositeur allemand né en 1926, avait déjà composé plusieurs opéras quand Alain Resnais lui demanda de composer la musique du film qu'il tournait, en 1962, "Muriel ou le temps d'un retour".
Bien qu'ayant été à l'école de René Leibowitz, élève de Schönberg et propagateur en France du système dodécaphonique, sa sensualité lui a évité de se fixer des règles trop contraignantes et qui auraient pu brider son lyrisme.
"Une chanson des Beatles c'est plus court et plus intelligent qu'un opéra de Henze", disait Boulez, dans sa période fondamentaliste sériel. Pure jalousie.
Cette envie de vivre et de composer à sa guise l'a fait s'installer en Italie, près de Rome. Où il continue de composer, à quatre-vingts ans passés, de tous les genres, y compris des opéras (un tous les deux ou trois ans au moins depuis la guerre).
Ce lyrisme l'a fait aimer des chanteurs et chanteuses, et ses œuvres ont été créées et interprétées par les Dietrich Fischer Dieskau, Edda Moser, Irmgard Seefried, etc., et enregistrées par Deutsche Grammophon, à l'époque où la compagnie soutenait la musique contemporaine (1965-75, à la louche).

Sur un scénario de Jean Cayrol, déjà l'auteur du texte de "Nuit et Brouillard", le film est centré sur une absente, cette Muriel qu'un des personnages du film a participé à torturer et assassiner, une double absence, aussi celle de cette guerre d'Algérie que la censure ne laissait pas nommer ni décrire. C'est un film qui fait ressentir le vide, qui évoque le passé, le remords, le regret, les vies détruites.

La musique accompagne cette mosaïque de moments, d'émotions, de mouvements de l'âme, en surgissant ici et là, souvent une voix de femme, chantant en français.
Cette voix est celle de Rita Streich, magnifique soprano colorature, (la Reine de la Nuit comme qui rigole), et l'orchestre est dirigé par le compositeur. Du bel canto post webernien. Le son est monophonique, le cinéma était en retard par rapport au disque. La musique de ce disque semble avoir été prélevée sur la bande-son, car on y entend des bruits du film.

La musique du film Muriel


Deux nouveautés techniques: la musique se trouve chez "mediafire", c'est encore plus simple, il suffit de cliquer sur "Click here to start download" et se souvenir où on lui a dit de mettre le fichier ensuite.
C'est un fichier rar, (une enveloppe comme un fichier zip, qui s'ouvre avec la plupart des dézippeurs, comme 7zip, [cliquez sur le mot rar au début de la phrase]) qui contient les 14 parties de la bande-son. Celles-ci ne sont pas en mp3 mais en "flac", un format qui laisse intacte la musique, alors que la compression mp3, même de la meilleure qualité, est destructrice. La plupart des lecteurs les lisent, on peut même les utiliser tels quels pour graver un disque lisible sur n'importe quel lecteur, sinon, il est possible de les convertir en mp3 avec Nero, Bonkenc, dBpoweramp, etc.

10 avril 2009

Le Quatuor de Roussel par le Quatuor Pascal


LE quatuor d'Albert Roussel.
Comme presque tous les musiciens français du siècle dernier, il n'en n'a écrit qu'un. Je ne vois que Milhaud, mais il était provençal, et Honegger, mais il était suisse, à en avoir écrit plus.
Ce quatuor est son opus 45. Forme traditionnelle en quatre mouvements, du Haydn? Final fugué, du Beethoven?
Ch'ti de Tourcoing, officier de marine, il n'étudia la composition qu'à l'âge de 25 ans et ne publia sa première œuvre qu'à 30 ans. Une soixantaine de pièces, entre musique symphonique, musique de chambre et musique vocale, rien à jeter. Il avait étudié avec d'Indy, à la stricte école du classicisme de la Schola Cantorum, et y avait lui-même enseigné le contrepoint. À la soixantaine, il écrit un prélude et fugue en hommage à Bach, et le dernier mouvement de son quatuor sera une fugue aussi.
Musique oubliée, très peu jouée, encore moins enregistrée, d'un musicien négligé. De son vivant, il était aussi considéré que Ravel, et après leurs morts (1937, à quatre mois d'intervalle), il semble que les amis de Ravel aient été plus actifs que ceux de Roussel.
Il a composé cette œuvre dansante et triste à la fois, dans sa propriété normande de Varengeville, un village peint par Monet, et où son voisin de cimetière est Georges Braque.



Cet enregistrement est celui du quatuor Pascal, fait pour l'ORTF, en 1957, en mono.

Le quatuor de Roussel en flac

Le quatuor de Roussel en mp3

29 mars 2009

Suite de "The Fairy Queen" de Purcell, "inédite" et "inouïe"


Toujours de la musique ancienne, et à l'ancienne, c'est à dire avant l'ancienne moderne, avec des instruments de l'époque et non d'époque. La suite extraite de "The Fairy Queen" d'Henry Purcell. C'est un "masque", un genre du XVIIIème anglais, du théâtre avec des intermèdes instrumentaux et vocaux, en français, on dirait une comédie musicale ... une adaptation du Songe d'une nuit de la Saint Jean, tiens. Écrit un siècle plus tard, il raconte la même histoire d'amours compliquées, avec des fées, des elfes, un humain qui se retrouve avec une tête d'âne sans avoir dit ouf, et aimé de la Reine des fées, Titania, avec ça! Et à 4 minutes, après une introduction orchestrale, le monde stupéfait entendait pour la première fois une voix sublime, celle de la jeune épouse d'un compositeur italien, Luciano Berio. Catherine Berio. Tel est son nom sur la pochette. Très vite, elle utilisera dans sa carrière son nom de jeune fille, Cathy Berberian. Hélas, elle ne chante que deux airs: Ye gentle spirits of the air, appear! Prepare, and join your tender voices here. Catch and repeat the trembling sounds anew, Soft as her sighs and sweet as pearly dew. Run new divisions, and such measures keep As when you lull the God of Love asleep. Accourez, gentils esprits de l'air! Soyez prêts à unir vos douces voix. Retenez et répétez ces airs délicats, Légers comme ses soupirs et perlés comme la rosée Inventez des variations et tenez la mesure Comme pour endormir le Dieu de l'Amour. Et l'air de la Chinoise: Hark now the Echoing Air a Triumph Sings, And all around pleas'd Cupids clap their Wings. Écoutez! L'écho au loin chante un Triomphe, Et tout autour de joyeux Cupidons battent des ailes L'orchestre, l'Orchestra dell'Angelicum di Milano. Le chef en est Bruno Maderna, violoniste prodige, qui était déjà chef et compositeur depuis des années. Son premier disque, cependant. Donc, voici un disque publié en 1956, en Italie, par la marque Angelicum LPA 970, probablement peu distribué en dehors de ce beau pays. Je m'imagine qu'à part nous, il y a quelques vieilles gens, en Italie, qui enlèvent certains soirs la couverture qui recouvre le tourne disques et se le passent. Joignons nous à eux! La suite de "The Fairy Queen" de Purcell par Maderna et Berberian

24 mars 2009

Guerre et Amour




« A batallas de amor campo de pluma » disait le poète Gongora, « à combat amoureux, champ de bataille de plume ». Monteverdi ne l'entendait pas de cette oreille, qui fait se battre à mort les deux amoureux.
C'est une scène dramatique: un récitant qui
« parla cantando », parle en chantant, sprechgesang!, les vers de Torquato Tasso, et nos deux héros qui chantent leur dialogue, réduit à peu. Un Madrigal in forma rappresentativa, une forme de spectacle sans descendance, supplantée par l'opéra.
« Il Combattimento di Tancredi e Clorinda » fut donné « en guise de passe-temps à la veillée pour le temps du carnaval » au Palazzo Mocenigo de Venise, devant « toute la noblesse réunie », en 1624. Monteverdi y invente un style musical, le stile concitato, le « style agité » en rajoutant la colère aux passions de l'âme dignes d'être mises en scène musicale (Cioran s'est donc trompé...): « J'ai reconnu que les passions ou émotions humaines sont au nombre de trois : la Colère, la Modération et l'Humilité ou Supplication. Ces trois gradations se traduisent exactement dans la musique par le genre Animé (concitato), Doux (molle), Modéré (temperato) ... Sachant que les contrastes ont le don d'émouvoir notre âme, je me suis appliqué à retrouver cette expression perdue ... »
Sic. Tempérance, supplication, on ne les cite plus spontanément comme des passions de l'âme....
Le texte extrait du poème du Tasse, « La Jérusalem délivrée » raconte comment Tancrède, croisé assiégeant Jérusalem et amoureux platonique de Clorinde, redoutable guerrière sarrasine dont il n'a vu que le front, non à cause du voile, mais du casque, la provoque en combat singulier. Clorinde est restée enfermée dehors au décours d'une sortie des assiégés, et accepte le duel. Ils s'affrontent, et Tancrède, sans savoir ce qu'il fait, la blesse à mort. Et là, c'est le drame, en lui ôtant son casque pour la baptiser, il la reconnaît, mais c'est un peu tard.
Tiens, des amoureux enfermés dehors, et dont l'un des deux meurt d'un coup d'épée, ça préfigure Pélléas et Mélisande...
Pendant la guerre, le poète Pierre Jean Jouve a réécrit ce poème, après avoir entendu le Combat en concert: en voici des extraits, (trouvés sur Internet, je n'ai pas le recueil « Gloire » sous la main):
Vêtue de l'armure étonnée et secrète
Elle erre sur la cime amère de la montagne
Cherchant une autre porte.
Un pas profond ébranle la terre obscure des cailloux
Renvoyé par les échos sombres.
.......
Le cavalier accourt noirement sur la marche de pierre ;
Il la fait se tourner vers le bruit de ses armes
Qui est pareil à un torrent rempli de fer.
Cavalier de triste rôle dans ma nuit, que me veux-tu ?
- Je veux guerre et mort
- Guerre et mort tu auras. Je ne refuse pas de te donner la mort si tu la cherches.
Clorinde tient le glaive mâle par sa croix
Posant la pointe dans la terre des bêtes noires,
Elle aussi noire pour l'étoile immense et le combat.
Et fous d'orgueil et de colère
s'affrontent à pas lents deux taureaux massifs et furieux.
.......
Nuit ! toi qui recouvres de noirceur bénie les hauts faits de cet affreux désir jaloux
Dignes du grand soleil et d'une arène emplie de peuple spectateur avec l'horreur qui joue !
O calme nuit du parfum de bruyère
Nuit de la plus lointaine des clarines
Puissé-je arracher ces hauts faits à ton ombre,
à ta douleur dormante et à ta paix,
O calme nuit des vents devenus frais,
Que j'arrache à ta nuit leur renommée éternellement vive
Et par la gloire de l'approche ensanglantée
que resplendisse ton obscurité.
.......
Perfides par les coups de gardes et de casques
Et cherchant les défauts
Trois fois l'homme a pris dans ses bras la femme
Et, ventre à terre, nœuds de haine au lieu d'amour, l'a étouffée
Trois fois la femme nue sous l'appareil de guerre aussi chaud qu'un amour
A rompu par son tranchant les nœuds voraces sans un cri.
Mais ils reprennent l'arme basse
quand ils connaissent que les deux sangs pénétrés se mélangent sur chacun des corps de l'extase !
Et poumons haletants ils reculent, se voient.
.......
Mais l'heure de Clorinde sonne.
Il plonge en le beau sein la lame
et la veste s'emplit d'un torrent chaud qu'elle voit avant de sentir
et qui joue lugubrement avec l'éclat du jour
.......
"Ami, tu as vaincu par un terrible amour
Je te pardonne, et toi, aux forces meurtrières
Pardonne !"
Et alors en tremblant
Il découvrit le front encore inconnu
Et, voyant cet œil de plomb, il la vit et la reconnut
Il la reconnut
Il resta sans voix et sans mouvement
Clorinde, la profonde aimée et poursuivie !
La bien-aimée, Clorinde
Clorinde refusée au désir de son cœur !
L'ange de son enfance
Au travers de la guerre
La fiancée qu'il n'aurait point connue !

Le texte chanté en français

The words they sing

Il testo cantado

Las palabras cantadas


C'estoit du temps que les bêtes parloient, et que les magnétoscopes n'existoient point. L'ORTF diffusa un après-midi du début des années 70 deux représentations filmées : Il Combattimento et Il Ballo dell'ingrate, une mise en scène reconstituant une représentation début XVIIème siècle, avec machineries et nuages peints qui bougent au dessus des têtes. Alerté par Télérama, (ou était-ce encore "La semaine radio Télé"?), j'ai branché mon magnétophone sur la seule prise que j'ai trouvée derrière la télé. D'où le son monophonique (et l'absence d'image). Nikolaus Harnoncourt dirigeait Claudio Desderi en Testo, le récitant, Kurt Equiluz en Tancrède et Cathy Berberian en Clorinde. Oui, Cathy Berberian, la plus grande cantatrice du XXème siècle! On entend les pas et le choc des épées sur les armures.
Desderi, une basse, se tire bien de ce rôle de ténor, quant à Cathy, elle avait toutes les tessitures à sa disposition. (À noter que quand Harnoncourt enregistrera pour Teldec cette œuvre, il le fera avec d'autres artistes, cette version est donc totalement inédite).

Je n'ai pas trouvé beaucoup d'illustrations, les peintres ont surtout représenté ce qui suit le combat amoureux, pas la cigarette, mais le baptême de Clorinde.

Il Combattimento di Tancredi e di Clorinda

14 mars 2009

Le discours

Un peu plus léger...
Un sketch d'un acteur connu, qui le jouait en cabaret dans les années cinquante.
Photos et détails du bonhomme dès que quelqu'un l'aura identifié (dans les commentaires en bas de page)!
C'est apparemment une tentative de reconstitution du discours du Président à la fin du dîner de têtes que décrit Prévert dans "Paroles", car la phrase finale est la même.

"Le président s'est levé, il a brisé le sommet de sa coquille avec son couteau pour avoir moins chaud, un tout petit peu moins chaud.

Il parle et le silence est tel qu'on entend les mouches voler et qu'on les entend si distinctement voler qu'on n'entend plus du tout le président parler, et c'est bien regrettable parce qu'il parle des mouches, précisément, et de leur incontestable utilité dans tous les domaines et dans le domaine colonial en particulier.

"...car sans les mouches, pas de chasse-mouches, sans chasse-mouches pas de Dey d'Alger, pas de consul... pas d'affront à venger, pas d'oliviers, pas d'Algérie, pas de grandes chaleurs, messieurs, et les grandes chaleurs, c'est la santé des voyageurs, d'ailleurs..."

Mais quand les mouches s'ennuient elles meurent, et toutes ces histoires d'autrefois, toutes ces statistiques les emplissant d'une profonde tristesse, elles commencent par lâcher une patte du plafond, puis l'autre, et tombent comme des mouches, dans les assiettes... sur les plastrons, mortes comme le dit la chanson.

"La plus noble conquête de l'homme, c'est le cheval, dit le président, et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là."

Le discours

01 mars 2009

Tout ce que Schönberg a écrit pour piano seul




Non! Ne partez pas!
C'est de la musique viennoise, après tout: il y a des valses, de la danse, la Suite opus 25, c'est une suite de danses!
Comme celles de Bach ou Rameau, il y a des gigues, des gavottes, un menuet.


Schönberg n'était pas pianiste, ce qui est plutôt rare chez les compositeurs. Il jouait du violon et du violoncelle. Il avait déjà composé deux quatuors à cordes quand il écrivit sa première œuvre pour piano en 1909, les trois pièces opus 11. Il venait de dissoudre la tonalité dans le dernier mouvement de son deuxième quatuor, et naturellement, ces petites pièces sont atonales.
Atonal, sans tonalité pour se repérer à l'écoute -ou à l'écriture!- ne veut pas dire froid ou sans émotion. Voir la peinture qu'il faisait à l'époque, pur style expressionniste. Par contre, pas de tonalité, pas de thème qui revient, c'est moins confortable...
Deux ans plus tard, le 11 février 1911, il écrit cinq des Six petites pièces, opus 19, puis la sixième après la mort du vénéré Gustav Mahler (le 18 mai). Ça file comme un courant de conscience, c'est bref comme du Webern, son élève, tiens.
Les Cinq pièces de l'opus 23 et la Suite, opus 25 ont été composées en même temps, au début des années vingt, quand il cherchait à organiser cette liberté inquiétante. C'est donc dans ces piécettes de une à trois minutes qu'il expérimente le dodécaphonisme. La première œuvre de ce type est la valse qui conclut les 5 pièces. Une valse, et une suite de danses sur le modèle baroque, comment mieux se raccrocher à la tradition tout en développant une méthode révolutionnaire? Écrire un thème avec les douze sons de la gamme chromatique, sans répétition, (donc on reste atonal, plus de tonique, de dominante, toutes égales, etc.), et tout en tirer, en le triturant, en le présentant à l'envers, en miroir, en écrevisse, exactement comme le faisait le père Bach, quoi. Il présentait cela comme une découverte, comme les découvertes scientifiques d'Einstein, non comme une invention. "Une découverte qui va assurer la suprématie de la musique allemande pour les cent ans à venir". Sic.
La Suite est ma préférée, avec son swing viennois. Il faut dire que je l'ai découverte dans l'interprétation géniale du pianiste Carlos Roque Alsina, en concert sur France Musique dans les années 70.
Quant à ses dernières pièces pour piano, les opus 33 a et b, de 1929 et 1931, les analystes y reconnaissent une forme sonate...

L'interprète: Eduard Steuermann.
Un fidèle entre les fidèles, il était le pianiste de la "Société pour les performances publiques" créée par Schönberg pour que ses œuvres et celles de ses élèves aient une chance d'être jouées, a suivi Schönberg fuyant le nazisme aux États Unis, et a créé les opus 23 et 25, et le concerto. Il a enregistré en 1957 la première intégrale de l'œuvre pour piano seul pour CBS. Jamais rééditée. Je viens cependant de découvrir qu'on la trouvait sur le site passionnant de la Fondation Schönberg à Vienne, mais brute, avec bruits parasites et rayures.
Une référence, donc. Quoique... On remarque qu'il joue un peu plus vite dans cet enregistrement fait 5 ans après la mort du Maitre les morceaux qu'il avait enregistrés de son vivant. Quand avait-il raison?

Les pièces en fichiers sans perte, "flac":

Schönberg 3 pièces opus 11 flac
Schönberg 6 pièces opus 19 flac
Schönberg 5 pièces op 23 flac
Schönberg Suite opus 25 flac
Schönberg 2 pièces opus 33 flac

Les fichiers en mp3 de bonne qualité:

Schönberg Tout l'œuvre pour piano mp3

13 février 2009

Jeux, de Claude Debussy, dirigé par Bruno Maderna





Un des fantasmes du patron des Ballets Russes, Serge de Diaghilev, était d'avoir deux amants. Nijinsky lui mit ça en ballet, lors de leur 5ème saison parisienne.
Mil neuf cent treize.
L'avant guerre.
(la der des ders).
C'est moderne, ça se passe derrière un court de tennis. Nijinsky voulait même faire s'écraser un avion dans le fond de la scène. Ç'aurait à coup sûr été encore plus moderne.


Jugeant que l'époque n'était pas prête, il remplaça les deux amants par deux donzelles, tout en gardant le même sujet. On a donc sur la scène les diverses combinaisons d'un trio, culminant vers la fin du ballet par un baiser partagé entre les trois protagonistes.


Debussy, à qui Diaghilev a commandé la musique, a commencé par refuser, à cause du sujet qu'il trouvait stupide, puis, comme il faut bien manger...





"Après un prélude très lent de plusieurs mesures, ... apparait un premier motif scherzando en 3/8, bientôt interrompu par un retour du prélude. Puis le scherzando revient avec un second motif. À ce point, l'action commence, une balle de tennis tombe sur la scène. Après que le jeune homme ait dansé avec la première fille, le dépit et la jalousie poussent l'autre fille à commencer une danse moqueuse et ironique (2/4) qui attire l'attention du garçon. Il l'invite à une valse (3/8)... La première fille, abandonnée, veut partir, mais la seconde la retient (3/4, très modéré). Maintenant tous les trois dansent (3/8) de plus en plus vite, jusqu'au moment de l'extase (3/4, très modéré), qui est interrompue par une autre balle perdue qui fait s'égailler les trois jeunes personnes: retour des accords du prélude, quelques notes se glissent encore, et puis c'est tout". Description de Debussy (très honnêtement, j'ai retraduit la traduction anglaise trouvée sur Internet, je n'ai pas accès à une bibliothèque ici) .






Ce ballet a été créé au Théâtre des Champs Elysées le jeudi 15 mai 1913, deux semaines exactement avant la première du Sacre du printemps. Rude mois de mai! Et avec le même chef, Pierre Monteux. Les musiciens ont dû bosser dur.
Décors et costumes de Léon Bakst ; les danseurs: Vaslav Nijinsky (le jeune homme), Tamara Karsavina (première jeune fille), Ludmilla Schollar (deuxième jeune fille).

Pas un gros succès. Le Sacre, et le tumulte qu'il a déchainé, a fait oublier cette musique neuve, fluide, lumineuse. Elle a été reprise l'année suivante, en concert, et a été ensuite oubliée. Le premier enregistrement ne date que de 1947!
Alors que c'est une musique extraordinaire! Partition difficile à exécuter, d'après D-E Inghelbrecht, « l'erreur d'interprétation la plus courante consiste à faire entrer les instruments, ainsi que dans une symphonie de Beethoven, alors qu'ils doivent plutôt s'insinuer, le plus souvent.».
« Il faudrait trouver un orchestre “sans pied” pour cette musique. Ne croyez pas que je pense à un orchestre exclusivement composé de culs-de-jatte ! Non ! je pense à cette couleur orchestrale qui semble éclairée par derrière et dont il y a de si merveilleux effets dans Parsifal ! » écrivait Claude Achille.
Redécouverte après guerre par les jeunes musiciens.

Ici, une incomparable version de concert, avec l'Orchestre National de France, au festival de Royans, le cinq avril 1968.
Le chef: le compositeur et chef d'orchestre Bruno Maderna, un de ces jeunes musiciens justement, qui ont rejoué cette musique oubliée. Tout en finesse, en souplesse, et comment les dernières mesures sont phrasées!


Jeux Debussy ONF Maderna 68



03 février 2009

Un Songe d'une nuit de la Saint Jean



Des extraits de la musique de scène de Félix Mendelssohn pour la pièce de Shakespeare, "A Midsummer night's dream", traduit ordinairement en français par "Songe d'une nuit d'été", alors que ce n'est pas n'importe quelle nuit, c'est la nuit de la St Jean, le solstice d'été, nuit magique.
Pour "Ein Sommernachtstraum", en allemand, tiens c'est marrant, ils traduisent comme nous, une nuit comme une autre.


Ce ne sont que des extraits, instrumentaux, de la musique de scène. Il manque, hélas, les sublimes airs chantés. L'Ouverture a été composée à 17 ans, le reste à 33 ans. Pas de rupture, Félix était déjà tout entièrement génial dès l'adolescence. La valeur n'attend pas, etc.
En prime, Les Hébrides, appelée aussi La grotte de Fingal, écrite en 1830, une ouverture. A rien. Une ouverture comme ça. Un morceau d'orchestre, quoi.


C'est Ernest Bour qui dirige le 18 Janvier 1955 l'Orchestre du Théâtre des Champs-Elysées. C'est un chef
méconnu, mort en 2001, et qui a beaucoup dirigé de musique contemporaine. Vous ai-je déjà dit que ce sont ces musiciens qui jouent aussi le mieux la musique des siècles passés?
Cet orchestre était je crois un orchestre de studio, assemblé pour les enregistrements.
J'aurais bien voulu mettre une photo de Félix, mais il semble qu'il n'en existe pas, bien qu'elle ait été inventée de son vivant. Ce portrait a l'air assez réaliste.

Le songe d'une nuit d'été par E. Bour 1955

02 février 2009

Le treizième quatuor de Beethoven



Il date de la fin de la vie de Beethoven, quand ça n'allait pas très fort, surdité totale et compagnie. N'empêche c'est d'une beauté mélodique, d'une force, d'une liberté incroyables. Bon je dis ça je dis rien, comme dit ma fille Muriel.
Sept mouvements, on s'éloigne des quatre mouvements de l'époque classique.
Et il culmine par une fugue. Du "colossal, Babylonien, Ninivite" comme disait Berlioz (mais pas à son sujet). Seize minutes dans cet enregistrement, un tiers du total.
Le mouvement que Beethoven préférait, le seul qu'il aurait voulu voir bisser à la création.
Mais il a fait peur (au 20ème siècle, Pablo Casals, à qui le violoncelliste du quatuor Vegh avait offert sa place pour qu'il puisse faire du quatuor le temps d'un concert, ne le comprenait toujours pas).
Donc Beethoven l'a remplacé par un finale, la dernière œuvre qu'il ait achevée. On la décrie souvent mais je trouve qu'elle ne dépare pas.
Dans cet enregistrement, je n'ai pas changé l'ordre dans lequel le quatuor Pascal l'a enregistré, même si c'est bâtard, en effet on entend d'abord le quatuor dans sa version finale, avec le finale de remplacement, puis la Große Fuge. Donc le quatuor comme il n'est jamais joué et comme Beethoven ne l'aurait jamais entendu, même s'il n'avait pas été aussi sourd que Buñuel.
Donc, sur votre lecteur de CD, vous pouvez programmer l'écoute au choix, comme Beethoven l'avait conçu, mouvements 1 à 6 puis 8, ou 1 à 7 comme il l'a publié. Ou 1 à 8 bien sûr.
La Grande Fugue, si elle a déconcerté, a quand même été transcrite pour deux pianos par un employé d'un éditeur, pour que les amateurs puissent se la jouer à la maison. Louis n'a pas apprécié le travail et l'a refait.

On la joue rarement, dommage.
On en a retrouvé le manuscrit en 2005, à Philadelphie. Il s'est vendu ensuite pour 2 millions de dollars. Ça aurait laissé Lulu rêveur, lui qu'on a payé 12 ducats pour le boulot.


Ça commence double forte ff, et tout de suite, plus fort, sf, sforzando. On ne rigole pas.
Je lis Allo loco, mais ça doit être allegro poco. On voit que c'est vite écrit, rageusement. Cette fugue est vraiment l'illustration de ce que disait Cioran: Beethoven est le premier à avoir introduit la colère en musique. En plus, ça devait l'énerver d'avoir à refaire un boulot mal fait.
À la sixième page, il a manqué de place, ou oublié une mesure, alors il a collé une rallonge. En traçant les portées à la main, sans la règle qu'il utilisait pour le reste.





Voilà.
Est-il besoin de rappeler que pour en profiter, il vaut mieux ne pas l'écouter sur son ordinateur, sauf s'il est connecté directement à un amplificateur. En graver un CD est la solution la plus simple.

Ah oui, j'allais oublier: c'est la version du quatuor Pascal, ils ont eu une très longue vie musicale, sans changement de musiciens, et ont pas mal enregistré, mais rien n'est réédité, donc on les oublie. En tant que quatuor de la Radiodiffusion française, ils créaient un tas d'œuvres contemporaines, ce qui me les rend d'autant plus sympathiques.


Ayant connu les derniers quatuors de Beethoven par leurs enregistrements, enfin la plupart, que possédait mon père, je lui dédie donc cet envoi.
C'est de la mono, début des années 50.

Beethoven 13 Q Pascal 1 - 5 flac

Beethoven 13 Q Pascal Finale et Gde Fugue flac


Quatuor n°13 & Grande fugue Q Pascal en mp3